Texte communiqué par Guy Evrard :
Un extraordinaire bain de jouvence nous attendait, ce matin du dimanche 16 mai 2010, sur le plateau des
Glières, au mémorial de ce haut lieu de la résistance armée, au cœur du maquis de Haute-Savoie. Malgré le froid glacial du matin, nous étions plusieurs milliers de manifestants de tous ages, sans
badges ni banderoles, réunis à l’appel de l’association CRHA « Citoyens résistants d’hier et d’aujourd’hui » pour défendre le modèle social issu du programme du
Conseil National de la Résistance (CNR).
Sur la modeste tribune se succédèrent pendant deux heures et demi des représentants de la résistance d’hier
et d’aujourd’hui. Témoignant de leurs luttes passées et actuelles, ils affirmèrent avec force leur opposition résolue à l’entreprise de destruction systématique et sans merci menée par les forces
politiques au pouvoir dans notre pays, contre les conquêtes sociales issues de la résistance.
Nombreux sont ceux de nos concitoyens qui commencent seulement à mesurer la portée du programme du CNR et le
changement radical qu’engendra sa mise en application au lendemain de la guerre. Magnifiquement intitulée « Les jours heureux », l’édition clandestine du 24 mars 1944 de ce texte
fondateur était une œuvre collective rédigée par des résistants, au péril de leur vie, et signée à l’unanimité par les représentants des principaux mouvements et partis de la
résistance.
La lutte pour l’application de ce programme ambitieux fut victorieuse de sorte que la France devint, à la
libération, un « pays d’exception » marqué par des conquêtes majeures comme la sécurité sociale, les retraites, la mise sous contrôle des banques, la liberté de la presse, les services
publics, le droit du travail. Les trente glorieuses ont largement prouvé l’efficacité sociale de ces réformes, même si on était encore loin d’en avoir exploité toutes les
potentialités.
Mais lorsque survint le renversement du rapport des forces entre le capital et le travail, aggravé fortement
à partir des années 80, les puissances financières et leurs relais politiques s’acharnèrent au pillage et à l’accaparement privé des richesses produites par la collectivité nationale, en
s’efforçant de balayer tous les obstacles à leur domination sans partage. Les fantastiques gains de productivité réalisés grâce aux progrès des sciences et des techniques, qui auraient dû
permettre d’accentuer le progrès social, de développer la culture, la santé, les loisirs…, furent utilisés pour aggraver l’exploitation et la précarisation des salariés. En détruisant les
principes de solidarité durement acquis dans les luttes et en instaurant le retour du temps du mépris des droits humains au bénéfice de l’enrichissement sans limite d’une poignée de prédateurs
multimilliardaires, le dogme capitaliste sans contre-pouvoir fait courir de nouveau à notre pays et à la société humaine mondialisée, de terribles risques à brève échéance.
En France, on mesure mieux aujourd’hui, suite à l’effondrement dans la collaboration de classe de l’essentiel
des forces politiques et syndicales, l’ampleur de la revanche que les capitalistes sont en train de prendre sur le monde du travail, sur les simples citoyens, mais aussi sur les couches
moyennes.
Les gigantesques transferts financiers organisés actuellement par les autorités nationales et
supranationales, en faveur de la spéculation et de l’évasion fiscale, révèlent des mécanismes de pillage des fonds publics en plein développement. La manipulation des institutions, par les
traités et réformes constitutionnelles se fait au mépris du suffrage universel. Elle est conçue pour empêcher tout recours démocratique des peuples contre les injustices qu’ils subissent, et se
renforce particulièrement dans les pays de l’union européenne où la misère gagne du terrain.
Quoi qu’en disent les gouvernants et les médias de masse à leur service, cette politique résulte d’une
volonté de revanche s’inscrivant dans la durée, ainsi que le déclara le 4 octobre 2007, Denis Kessler, ancien vice-président du Medef : « Il s’agit aujourd’hui de sortir de
1945 et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance. (…) Le gouvernement s’y emploie ».
Ce travail de démolition est, en effet, largement engagé. La justice, la santé, l’école, le code du travail,
les libertés publiques, etc… en font les frais chaque jour. Mais tout n’est pas aussi simple pour la coalition réactionnaire au pouvoir. Car si la cupidité des spéculateurs et des tenants de la
haute finance est manifestement sans limite, les dégâts sociaux et environnementaux de la guerre économique et sociale déclanchée contre les peuples et leurs conditions de vie « pour
satisfaire les marchés !!! » provoque un réveil des consciences que le matraquage audiovisuel incessant peine de plus en plus à contenir.
Ainsi aux Glières, en riposte aux tentatives de récupération des hauts faits de la résistance par le chef de
l’état lors de son pèlerinage annuel (dont l’organisation et le déroulement ont scandalisé les résistants), une poignée de militants haut-savoyards a initié en 2007 un rassemblement citoyen
annuel. Sous la pression des évènements et du comportement « débridé » du pouvoir, cette manifestation locale a pris maintenant une dimension véritablement nationale. Les manifestants
viennent de toute la France et les témoignages des résistances citoyennes actuelles montrent que la base d’indignations et de revendications légitimes qui les motivent s’élargit sérieusement. Le
lien qui s’établit ainsi entre ce mouvement de résistance et de désobéissance civique et les luttes de jeunesse de nos anciens du CNR pour « les jours heureux » produit
une véritable rupture avec le pessimisme ambiant.
En écho aux témoignages émouvants et combatifs comme celui d’Odette Nilès, internée avec Guy Moquet au camp
de Chateaubriand dont elle préside l’amicale, du résistant Léon Landini, membre des bataillons FTP-MOI à Lyon, des messages de soutien de grandes figures comme Stéphane Hessel (qui fut résistant,
déporté, Ambassadeur de France et co-rédacteur de la charte universelle des droits de l’homme) et Raymond Aubrac (ancien résistant, ex commissaire de la République) tous deux militants
infatigables actuellement en déplacement à l’étranger, les résistances actuelles prennent toute leur dimension historique : Didier Poupardin, médecin de quartier à Ivry milite avec
acharnement contre les déremboursements de l’assurance maladie pénalisant les familles modestes, Dominique Liot, agent EDF membre des Robin des Bois, est poursuivi pour avoir remis le courant aux
foyers en difficulté, François Ruffin journaliste victime de procès dans l’exercice de son métier, lutte pour l’indépendance de la presse. Serge Portelli, magistrat et vice-président du Tribunal
de Paris, nous éclaire ainsi : « …nous ne sommes plus dans une démocratie, pas dans un Etat autoritaire, mais dans un Etat limite… » ; « Il y a aujourd’hui
une haine de notre passé : ce n’est pas simplement mai 68 dont on ne peut plus parler, ce sont les valeurs, effectivement, de la Résistance et même au delà, les valeurs de la Révolution et
celles des Lumières ».
Didier Magnin, pilier de l’association CRHA avec le résistant Walter Bassan et le réalisateur Gilles Perret,
appelle à réinventer notre modèle social, en référence à celui du CNR, à construire un programme politique, social du XXIème siècle, à construire une nouvelle utopie
réaliste.