Son livre Abus de pouvoir est un
violent pamphlet anti-Sarkozy. Pourtant, le président du Modem a bien participé à son avènement et aujourd’hui il aimerait bien se servir du PS comme marche pied vers l’Élysée.
Dans l’Humanité vendredi, décryptage du pseudo phénomène : le tardif réveil pour réclamer une Europe plus sociale, l’élu libéral à Bruxelles, le long
compagnonnage avec Sarkozy, comment le PS voit en lui plus un concurrent qu’un adversaire.
Un petit nouveau vient de faire son entrée dans le paysage politique français : François Bayrou. Afin de
se construire une image, le président du Modem a publié un livre, intitulé Abus de pouvoir. Il y dénonce ce qu’il appelle « l’égocratie » de celui dont il brigue ouvertement la place, Nicolas Sarkozy. Le pamphlet ne trahit guère de pardon pour l’homme
qu’il a tout de même côtoyé de nombreuses années, exactement « depuis le début des années quatre-vingt-dix ». Le « petit nouveau » Bayrou a fait en effet toutes ses classes au
cœur même de ces noyaux de pouvoir qui ont commencé à ébranler la France, dès la mort de Georges Pompidou, pour la diriger vers un libéralisme qui ne disait pas encore son nom.
Il a eu comme compagnons d’abord les Charles Millon, Michel Noir, Alain Carignon, Philippe Séguin, François Fillon. Il fut des « rénovateurs » centristes avec Dominique Baudis et
Bernard Bosson, avant d’être trahi par Giscard d’Estaing, son mentor, ou Chirac, ou les deux, on n’a pas très bien compris. Déjà. Jeune secrétaire général de l’UDF, il discute avec Alain Juppé,
secrétaire général du RPR chiraquien. Mais il y avait un ambitieux de trop pour les deux jeunes secrétaires généraux : tout cela finit mal… On ne pouvait imaginer d’autre fin que
cataclysmique, puisque l’idée directrice de l’époque, idée à coup sûr mortelle pour l’un des deux joueurs, était qu’il s’agissait en cet affrontement d’une seule et unique famille politique,
« la droite », ou si l’on veut « la-droite-et-le-centre-droit ». « (…) Le vainqueur fut Jacques Chirac. » Il rencontre donc Nicolas Sarkozy en 1993, avant de le
retrouver au gouvernement, lui à l’éducation nationale, l’autre au budget. Le livre passe ensuite rapidement à 2002, quand le « petit nouveau » conseille à Jacques Chirac de nommer
Sarkozy premier ministre. En 2006, comme le temps passe vite, il rencontre Sarkozy, le nouveau secrétaire de l’UMP, pour faire la peau du « vieux ». Bayrou refuse le marché et Sarkozy
se retrouve candidat naturel. L’affrontement, dit le Béarnais, « vient de là ». Il n’a que des divergences de programme avec Ségolène Royal, de valeurs avec Nicolas
Sarkozy.
Le néophyte François Bayrou découvre chez son adversaire ce goût pour l’argent, cet attachement aux puissants jusqu’à faire allégeance à Bush. Et après les sous, il y a l’idéologie. Tout en
s’alliant aux grands oligopoles français, la plupart propriétaires de médias, Nicolas Sarkozy a entrepris de briser, « avec la pioche et la barre à mine, à l’explosif et parfois à mains
nues, en grattant avec les ongles », tout ce qui fait l’originalité de la France dans le monde, un modèle respecté : « notre éducation nationale, notre modèle de recherche, notre
justice, notre code de procédure pénale, notre Sécurité sociale, nos normes comptables, nos professions judiciaires, notre agriculture ». Il y ajoute, la laïcité à laquelle il est
foncièrement attaché. « Jamais démocratie ne porta si mal son nom. Jamais République ne fut moins publique… Et voilà nos ennemis. Et voilà les miens. J’ai juré de ne rien lâcher, en votre
nom, quelles que soient les opinions que vous défendez. Je m’en fiche des opinions… »
Il s’en fiche des opinions, d’ailleurs gauche et droite, qu’est-ce que ça veut dire aujourd’hui face à l’égocrate et sa bande ? Il faut donc écouter bien, « entrer en résistance »
contre « l’idéologie de la généralisation de la loi du profit, l’extension aux services publics des normes du marché, de la concurrence » contre « l’idéologie de la prééminence du
capital ». Il faut défendre les « classes moyennes et laborieuses », organiser un « archipel de résistances » sur Internet, s’insurger contre l’idéologie « de
classe ». Le « petit nouveau » dans le paysage politique français se situe à gauche du centre droit, quelque part non loin d’un Parti socialiste qui ne parle plus depuis longtemps
des « classes laborieuses ».
Car pour abattre l’ennemi, les ennemis « de classe », il faut nécessairement avoir des alliés. Les rapprochements sont en cours, on vous tiendra au courant. Finalement, c’est
l’idéologie de droite qui sera dominante. Un autre Béarnais, Olivier Dartigolles, dirigeant national du PCF, élu de la majorité municipale à Pau, qui a battu Bayrou, en 2008, affirme que Bayrou
« prépare une relève à droite en exploitant l’exaspération contre le sarkozysme, ses actes et ses méthodes. Contrairement à ce qu’il avait fait lors des élections municipales à Pau où il fut
très agressif à l’égard de la liste de rassemblement de la gauche en faisant tomber le masque sur sa vraie nature, Bayrou veut donner l’image d’un homme d’ouverture ». François Bayrou a
participé à toutes les aventures de la droite depuis près de vingt ans, il fut le complice de l’arrivée de Nicolas Sarkozy au pouvoir en arasant le terrain. Difficile de se refaire une virginité
même s’il peut apparaître comme un moindre mal pour des électeurs de droite ou des transferts déçus du PS.
Source : l'Humanité, Jacques Moran